Les Mots Désaccordés
Par la fenêtre elle peut voir s’il vient. La fenêtre donne sur la rue.
La fenêtre de la façade où se trouve la seule porte d’accès à l’hôtel.
Par la fenêtre, elle peut entendre s’il vient.
Allongée sur le lit ou assise à la petite table, elle peut entendre le bruit qui provient de la rue et elle peut attendre le son, ce son.
Il y a des bruits semblables au son bleu de son moteur, mais ceux-ci ne montent pas les escaliers.
Et ils déchirent son cœur, parce que tant qu’ils sont loin (pianissimo, piano), loin dans la rue qui mène chez elle ou à l’hôtel, ils sont semblables, terriblement semblables.
-Je vous parle. Je vous parlais-
Il est en train d’arriver. Il revient. Je savais qu’il ne pouvait pas ne pas revenir.
Elle entend un son très doux si la fenêtre est légèrement ouverte, mais ce n’est pas nécessaire, elle peut l’entendre quand même, il suffit de se taire, il suffit de ne pas bouger, juste pour le percevoir.
Il est encore loin, sur l’autre route, mais ça se rapproche.
Quelque chose dérange, des pas peut-être, mais pas au dehors, dedans, quelqu’un qui monte l’ancien escalier.
Mais elle, décomposant les sons rapidement.
Un (tout près), c’est juste du bruit, des pas, l’autre, au loin, c’est le moteur qui s’approche et ne dérange jamais, il s’approche enfin. En marchant.
Si elle était chez elle … mais chez elle il n’y a pas d’escalier en bois…
Non, elle ne peut être qu’à l’hôtel et pas à la maison et quelqu’un est monté et a traversé le couloir et il a alors couvert le son qu’elle attendait hier et avant- hier et il y a plusieurs jours.
Mais maintenant elle écoute le bruit qui vient vers elle.
Et bientôt il entrera et pourra lui parler encore, en bas dans l’entrée, devant l’immense escalier en bois.
Mais il voudra monter dans sa chambre. Il voudra lui parler et tirer un coup et lui parler.Il voudra écouter sa voix (-Je ne peux pas vivre sans ta voix-)
(-J’ai peur que ta voix me manque trop, ce sera la chose qui me manquera le plus-)
Il a compris.
UNISSON
Il a compris et lui pardonne. Il lui pardonne et il peut le faire lentement, tout près.
Il oubliera tout. Calme et silences partagés.
(-Je suis bien avec toi même en silence-)
Des pauses interminables de notes avortées.
Ce n’était pas un son bleu, ce n’était pas un bruit, ce n’était pas un moteur, son moteur, ce n’était pas lui.
Maintenant elle entend, presque sous la fenêtre de sa chambre, que le bruit est semblable, mais il n’est pas bleu.
Ce n’était pas un son bleu. Ce n’était pas le moteur. Ce n’était pas lui.
Non, ça y ressemble. Elle essaie désespérément de l’entendre encore, d’écouter attentivement.
Ce n’était pas lui. C’est quelqu’un d’autre (putain) et ça provient juste d’en dessous de sa fenêtre et ça ne ralentit pas, ça ne sort pas, ça ne monte pas l’escalier en bois. Il ne coupe pas le moteur, ne ralentit pas, ne monte pas l’escalier en bois, ne pardonne pas, ne parle pas, ne lui parle pas, ne comprend pas. Et il ne pourra plus jamais le faire.
Elle n’existe plus.
Elle ne cesse de l’entendre venir de loin, du long chemin, par la fenêtre légèrement entrouverte, jusqu’à ce point strident et perçant où il change mécaniquement et lance la variante, la tonalité différente, à tel point que la variante intime, elle, elle ne l’entendra plus jamais.
La couleur d’un son seulement imaginé.
+
Bouleversement
La Pierre Blanche,
La mère, ta mère. Elle n’était pas là. Sens dessus dessous.
Enjambement.
La Pierre Blanche est une île brûlante, de glace,
Elle ne bouge pas : elle est lourde, profonde, tombale,
Pierre Blanche, plate, aveuglante.
La mémoire est une femme âgée, très belle.
Lumière, nos mères, mon visage, tes yeux.
Depuis mes quinze ans, j’ai construit un échiquier.
Ça marche, ça marche bien.
Effacé même l’endroit de mon enfance. Anéanti. Démoli.
Il faut écrire des mots et les écouter, les lire.
Les sons, seulement les sons.
LES EAUX CALMES
“…et les ressacs, et les courants, je sais le soir…”
Écran noir.