On avait déjà croisé Derek Piotr en 2014 sur le label polonais Monotype Records avec son 4ème album intitulé Tempatempat, sans le retenir pour en faire une chronique. On se rattrape donc ici son 6ème album publié cette fois chez Line afin de découvrir le travail de ce jeune compositeur polonais, âgé de seulement 25 ans.
25 ans et un CV déjà bien rempli puisque le jeune homme a déjà travaillé avec Scanner, Blevin Blectum, ou encore AGF avec qui il partage une passion pour l’utilisation de la voix, cette voix qui donnait une teinte pop expérimentale à Tempatempat et qui nous a peut-être éloigné de ce disque. En effet cette dimension est complètement effacée sur ce nouvel album qui s’inscrit plus logiquement dans la ligne du label de Richard Chartier.
Le titre était d’ailleurs annonciateur de ce virage et la musique du Polonais partage effectivement quelques caractéristiques du drone, à commencer par des pièces qui peuvent s’étaler sur 16-17mn. Mais il ne s’agit pas ici de drone comme on est habitué à en croiser depuis quelques années. Les drones du Polonais sont vivants, habités et restent généralement au second plan, par exemple derrière une rythmique sourde et mécanique, ou quelques scintillements métallisés sur Sound qui ouvre l’album, et qui le conclut dans une version remixée par AGF, piste bonus de la version digitale.
Derek Piotr emmêle des nappes douces, feutrées, incorporant certainement des voix et parsème le tout de petits bruitages, chocs, glitchs et crépitements pour finir par un ronronnement ambient, véritable drone sur la fin de Rivulet to Gulf. On a cité AGF, mais c’est avec Maja Ratkje que le Polonais a composé Lakes qui nous surprend par l’absence apparente de voix et son minimalisme puisque l’on trouve essentiellement ici une superposition de nappes et drones ondulants ponctués de quelques crépitements. A contrario, c’est un bruitage mécanique qui domine sur Wash, évoquant un système d’horlogerie ou un métronome alors qu’un souffle ambiant puis une nappe ne s’installe sur la 2ème moitié.
On se rend alors compte que Derek Piotr alterne entre les deux approches, avec de la même façon un Shallows qui met en avant les drones timides, ondulations de nappes sur un ensemble de bruitages parfois très dense : crépitements, entrechocs, frottements métalliques et coups de basse pour un résultat plutôt sombre. De l’autre côté, et en parallèle à Wash, Absolute Grey met en avant un ronronnement vibrionnant assez linéaire et assez long à bouger avant d’intégrer nappes et souffles sur la 2ème partie.
Comme on le disait, Drono n’est pas un album de drone classique, ni un véritable album ambient. Ses expérimentations le rende plus difficile à appréhender, donnant l’impression d’être composé de façon méticuleuse avec des éléments d’improvisation.
(etherreal.com)
Derek Piotr’s Drono is really rather beautiful, its splicing together of techniques from minimal classicism, drone and even glitch creating something that perfectly mirrors its apparent inspiration from bodies of water.
(drownedinsound.com)
Derek Piotr’s Drono emphasizes the form and durational composition of drone through unquantized, glitching samples and near-absence of rhythm. It features Maja S. K. Ratkje’s voice and additional production by Thomas Brinkmann and is a real gem in the LINE catalogue, the best release on the label for a while.
(boomkat.com)
Derek Piotr builds up droning tracks out of super-spliced fragments of samples and voices (mostly Piotr’s, but also Maja Ratke’s), manipulated beyond obvious recognition. Drono functions as ambient background texture, but also richly rewards closer listening to untangle the blur of sounds.
(normanrecords.com)
Nage en eaux troublantes, transcendance des styles, et toujours du drone et de l’eau.
2016 semble être un très bon cru chez Line : on a déjà parlé du Robert Crouch il y a peu de temps, on pourrait y ajouter le dernier opus de France Jobin ou encore la collaboration entre Haruo Okada et Fabio Perletta sans sourciller. Là, tout de suite, j’ai envie de causer de Drono par Derek Piotr, polonais de son état qui malgré sa jeunesse (25 ans) aura su séduire les oreilles de Richard Chartier pour y sortir sa dernière création des plus intrigantes. Son travail de composition est en effet basé sur l’échantillonnage et le post-traitement de sa voix, et bien que ça ne soit pas unique dans l’histoire de Line (Antye Greie aka AGF a déjà offert un album entièrement pensé sur ce procédé en 2013 sur sur le sous-label Line [SEGMENTS], et se retrouve par ailleurs naturellement aux commandes du mastering de presque tout Drono), ce sont les autres idées avec lesquelles Piotr mélange son fond de commerce qui lui donnent son éclat.
On a déjà parlé, dans la chronique du Elixir de Keith Berry, des relations intimes liant le genre du drone à l’eau. Cette histoire partagée de la fausse immobilité qui révèle toutes ses précieuses imperfections aux plus attentifs. On baigne aussi dans cet esprit avec Drono, où l’eau est une inspiration centrale au processus créatif de l’artiste. Les nappes sonores s’écoulent les unes au-dessus des autres, puis finissent par s’interpénétrer jusqu’à ne plus laisser distinguer nos origines, ni permettre d’imaginer à quoi ressemblera notre point d’arrivée. C’est peut-être là l’argument qui m’a convaincu que ça valait la peine d’écrire un papier sur Drono : les auditeurs malicieux mais trop pressés se rendront vite compte qu’en passant rapidement du début à la fin d’une piste, les similitudes entre les sons se feront excessivement rares. Les autres auditeurs, malicieux eux aussi mais surtout patients, auront précisément toutes les difficultés du monde à le réaliser. Les grands écarts entre les balbutiements d’une piste et ses ultimes instants ont une amplitude qui n’égale que la facilité déconcertante des morceaux à ne pas nous le faire remarquer. Toujours ce rapport à l’eau, dont les mêmes molécules passent du ruisseau calme au fleuve tumultueux, de la rudesse verticale des montagnes à l’horizon des évènements marins.
Au-delà des drones majoritairement dérivés de samples vocaux, c’est le contraste qu’ils entretiennent avec des textures incisives et autres types de hautes fréquences qui donne paradoxalement sa profondeur à l’album. On dit habituellement ça des basses réverbérées sondant des abysses acoustiques inaccessibles, mais je trouve que les picotements d’aiguilles cristallins éparpillés ça et là sont justement ceux qui évitent de se noyer dans le petit bain des couches sonores qui seraient trop rondes et moelleuses si elles étaient seules. Transmissions radio inintelligibles, parasites entropiques, subtils enregistrements de terrain, et surtout ronronnements mécaniques parant Sound, Absolute Greyou le magnétique Wash de caractéristiques rythmiques trop rares chez Line pour être ratées ou pas savourées : tous ces détails qui expansent le champ de vue et nous font régulièrement regarder au loin à la recherche de mécanismes invisibles, ou vers le ciel dans l’espoir de distinguer le lieu de naissance des signaux que l’on capte (et ce qui pour moi fait de Lakes la piste la moins intéressante). Et c’est avec ces choses en tête qu’on se met vite à apprécier les cadences métronomiques de machines fantasmées côtoyant les marées paisibles des simili-voix aquatiques dans Sound ou Wash, qu’on assiste à la représentation d’une chorale sous-marine d’androïdes aux traits asimoviens dans Rivulet to Gulf, ou qu’on découvre l’existence d’une matrice liquide dans le remarquable Shallows. Un voyage au-delà des réels pas si abstrait que ça, qui sied définitivement bien à Line, non ?
Drono, c’est plus que du drone, parce qu’il n’utilise pas exclusivement ses caractéristiques pour en faire un album, mais les superpose à d’autres traits de personnalité qui lui donnent une plus-value indiscutable. Drono, c’est rajouter une dimension à un genre comme quand votre professeur de maths semble vous mystifier en vous apprenant que i² = -1, on découvre qu’il y a bien plus derrière le miroir qu’un simple reflet. Drono, c’est un peu une transcendance OKLM des styles musicaux dont les interactions prouvent, s’il le faut encore, que la valeur finale d’un objet peut dépasser la somme de ses parties. Énigmatique et hypnotique à souhait, j’ajouterai même que Derek Piotr signe avec son skeud un des travaux les plus accessibles de Line (si ça veut dire quelque chose).
(swqw.fr)
Water. In science class, I learned it was the “universal solvent.” That doesn’t scratch the surface on its true mystery and utility, however. Water is an amazing thing – it can be observed in forms both minuscule and enormous; oceans, after all, take up much more surface space on this planet than land masses do. You can immerse yourself in it – once beneath it, water changes your perception of reality completely, altering your senses so that you hear and see in ways you’d never be able to on land. It allows your imagination to leap in directions otherwise unforeseen. Water is also a prerequisite for life here on planet Earth – people (or almost any other organism) can’t survive without it.
Water is what Derek Piotr explores on Drono, and it should come as no surprise that once again there is a naturalist theme that creeps into his work; Piotr is often photographed holding plants, fruits, or vegetables, often outdoors. He has organized electronic concerts in the middle of forests. His parents are Ents. OK, that last one’s not true, but would it be so surprising? But Drono is a different beast than the light-in-the-forest-clearing-type inspiration of past works like Tempatempat and Bahar, and it’s his first album where he specifically tackles a new genre. If the title hasn’t made it obvious, that genre is drone, a hard left turn away from his past electronic/voice/electroacoustic/glitch work. While he doesn’t literally silence himself – the majority of the record is made up of processed vocals, after all – he completely removes the context of his voice from the equation, a risky move when his vocal element has been so prominent in his previous work. Gone are the restless rhythms, replaced instead with tranquil and ambient tones that grow and morph as they progress, like glaciers over landscapes. Hey, did you know that glaciers are made of water too? The water’s just frozen! Just wrapping it all together.
Good thing Derek Piotr fares well in the dronescape, as there is still a richness to his music here. Piotr is a scientist who prefers music as his toolset to microscopes and laboratories, and as such he’s stripped away any and all unnecessary elements and concocted a vibrant headspace teeming with gentle imagination. Utilizing a four-dimensional world on Drono – the fourth being the (seeming) elapse of real time as his water compositions traverse actual distance and take the cubic form of their physical containers (…in my head) – Piotr examines the relationships between the physical world and the infinite moments of capital-T “Time.” This is how, on a track like “Rivulet to Gulf,” he’s able to guide the listener from the actual formation of the rivulet at the source to the actual emptying of that initial rivulet into the sea, although now of course the rivulet has evolved over the course of its journey into millions of gallons, and it’s reflected in the gradual shift in the track.
The rest of the mostly lengthy tracks here follow similar suit. On “Lakes,” the voice of Maja Ratkje is layered and manipulated until it no longer resembles a voice, the opposite effect of “Rivulet to Gulf,” which sounds like a choir. “Wash” burbles and clicks like a marsh in the evening. “Shallows” changes rapidly, not content to be pinned to one sound or mood, and rewards with its internal conflict. “Sound” is short, at 3:44, and is closest to the Derek Piotr of old in that recognizable beats introduce the album, but they quickly recede into crisp ambience and warm embrace of major chords. And as he has done in the past, Piotr has again collaborated with a master of the field, this time Thomas Brinkmann, who reworks “Wash” in to the seventeen-minute pointillist tone spectacle “Absolute Grey,” a reminder of his superb 2015 album What You Hear (Is What You Hear).
It’s sufficient to say that Derek Piotr has succeeded in his drone excursion, crafting an album that’s at once immediately satisfying and also a slow grower, revealing nuances over time. Like a smooth stone skipped over a calm pond, Drono causes delicate ripples within the ambient music continuum, fitting in perfectly but disturbing slightly with its superior craftsmanship. And as much as I want Derek to continue on along the path blazed last by the superb Bahar, these sidetracks to explore different stylistic areas can end at beautiful and scenic vistas. For your ears, of course.
(criticalmasses1media.wordpress.com)
●Derek Piotrのアルバムが〈LINE〉よりリリースされた。2014年に〈Monotype Records 〉からリリースされたアルバム『Tempatempat』もよく聴いていたし、〈LINE〉も好きなレーベルなのでどこか繋がっていく感覚も覚える。
●本作は、『Tempatempat』や、前作『Bahar』(2015)で聴かれたような、トライバルなリズム・トラックの曲は少なく、〈LINE〉のレーベルカラーにあったサウンド・アート的なドローンなトラックが多い。だが、彼独特の世界を逆から見るような、もしくは世界を逆回転で体験するような感覚も健在だ(まるでアートワークのように)。同時に、より洗練されたトラックになっているようにも感じられ、サウンド・アーティスト/音楽家としても明らかに進化している。
●Derek Piotr『Drono』の根底にあるものは、00年代以降の電子音響/エレクトロニカにあったミニマリズムと、これまた00年代的なトライバル/フォーク感覚であろう。それらを2010年代的な緻密な電子音響のフォームとして融合させているような印象を持った。本作も同様で、デジタルで透明な持続音と細やかなリズムが交錯する4曲め“Wash”や5曲め“Shallows ”などには、そのような印象を持った。とくに“Shallows”は複雑なサウンドのテクスチャーによって成立している曲で、環境音や持続音がざわめきのように生成変化を遂げていく。
●また、彼のコラボレーション(リミックス)はいつも的確である。これまでもC.Spencer YehやSteve Rodenにリミックスを依頼し、本作ではなんと6曲めにしてアルバム・ラスト曲“Absolute Grey”を、あのThomas Brinkman(!)と共作している。キュレーション感覚も優れたアーティストなのだろう。それにしても、この“Absolute Grey”、いかにもThomas Brinkman的な強靭電子音響も展開されており、まったくもって最高である。ベテランと新しい才能の交錯を満喫であった。
(soundnote.hatenablog.com)
これまでにMonotypeやBit-Phalanx等のレーベルからリリースをし、2012年のプリ・アルスエレクトロニカにノミネートされた実績も持つ、若きポーランド人サウンドアーティストDerek PiotrがRichard ChartierのレーベルLINEに初登場。人間の声にアプローチし音楽制作を行なっているアーティストで、様々に変化する水の状態にインスパイアされたという本作では、巧みにプロセスされた本人の声とグリッチやミュージックコンクレートの要素も取り入れながら、穏やかさと激しさなど多面的な印象を包含するドローン・サウンドを展開しています。ノルウェーのボイス・パフォーマーMaja Ratkjeをフィーチャリングした曲(tr-3)やThomas Brinkmannとの共作(tr-6)も収録。マスタリングはAGF(Antye Greie-Ripatti)が担当。
(p*dis, japan)